Rosalia MAGUID
Recuerdame
" Souviens-toi de moi "
En 1889, à bord du vaisseau " Wesser ", en
provenance de Kiev, les premiers immigrants juifs arrivent en
Argentine. Ils sont logés à l'hôtel des immigrés, dans
le port de Buenos Aires. Après les formalités de recensement,
ils sont embarqués dans un train qui les conduira vers leurs
nouvelles terres.
Une nouvelle vie commence alors pour tous ceux qui ont fuit la misère et la persécution, en provenance de Russie et d'Europe Centrale. Le train traverse la province de Buenos Aires, et finit par s'arrêter au nord de la province de Santa Fé, au milieu des terres données par Monsieur Palacios à la Jewish Organisation.
Hélas compte tenu de l'insalubrité du site, du manque
d'eau et de la précarité des logements de fortune, 62 des 130 enfants
et presque toutes les personnes âgées décèdent de maladie de la peste
et autres maux. Certains essaient de trouver leur salut
en reprenant la route, Ils créent alors Moisés Ville, transformant
ces terres fertiles en de vastes étendues agricoles.
Un siècle plus tard, réveillée par les échos de
la mémoire familiale, Rosalia MAGUID, médecin et photographe, sort
de l'intérieur d'un vieux coffre des nappes de coton brodées par ses
aïeules. En effet en 1889, à l'âge de 7ans, la grand-mère maternelle
de Maguid, née à Kiev (Russie),débarque à Buenos Aires.
Elle leur colle de vieilles photos de famille griffonne
sur des plats anciens des mots d'hébreu, tisse des bandeaux de célébration.
Ces nappes deviennent "les
territoires de la mémoire", le fil qui lui permet de tisser la trame
de fond d'une nouvelle histoire, après tout MAGUID est celui qui transmet.
Rosalia quant à elle finit par entreprendre ce
voyage tant de fois retardé.
Munie de son appareil photo, elle se rend à Moisés Ville.
Et sans pouvoir s'arrêter, elle presse le poussoir devant les bâtiments publics,
les synagogues, les cimetières. Une étrange sensation l'envahit, ces édifices
abandonnés
sont remplis par le spectre de l'absence, par la solitude. Tout est là imprévu.
De retour à Buenos Aires, Rosalia entreprend à l'aide
de programmes digitaux de rendre les sensations qu'elle a vécu à Moisés
Ville, dépouillant chaque photo de sa dimension sociale, pour ne lui
conserver que sa dimension spectrale, presque fantomatique. Les fenêtres,
les portes, ces bâtiments presque transparents, sont autant d'espaces
vides qui tardent à se rendre visibles.
Le
spectre se décline en une série infinie de courbes, de lignes à
inflexion variable, sans point de vue précis. Le spectral établit
un pont entre la mort et le souvenir, entre le contenu et le contenant alors
que le spectre vide de sa substance toute chose, pour ne laisser paraître
que la lumière irradiante. L’œuvre de Rosalia MAGUID rend
visible l'invisible, les ténèbres de l'immense abîme,
elle jette le spectateur dans la nuit, comme les premiers immigrants, jetés
dans l'inconnu.
Camilo RACANA (septembre 2003) |